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samedi 26 juin 2010

Pinocchio

Aujourd'hui, c'était un jour incroyable. Notre vocabulaire s'est limité à "Ouah " "Non, mais Antoine, non mais Antoine ! ", "Pff, c'est incroyable", "Ah, mais quelle... oh mais ouahhh".
La raison de cette subjugation totale a un nom : la baleine franche australe.
Voilà une semaine que nous croisions les doigts et touchions tout le bois que nous trouviions. Le temps sera-t-il au beau fixe ? Les baleines daigneront-elles nous montrer leur bout du nez ?
Et ben oui. Et même plus que le bout du nez.

La journée a commencé à 7h30 pour aller rejoindre une plage dans le golfe Nuevo de la Péninsule Valdès. La caillasse est telle que la plage descend abruptement à quelques mètres de nous. On nous l'a vendue comme sûr et certain de voir ces tites bêbètes là. Elles y seraient depuis le 5 juin, mettant bas et prenant soin de leur tout petit. C'était bien vrai. Quel bonheur de LES voir si près ! Elles tournent, se font plaisir et ne se soucient absolument pas de nous. Il faut dire que ce golfe offre une protection naturelle contre les dangers de la mer et est protégé des hommes en tant que réserve naturelle. A vrai dire, la péninsule leur offre deux golfes pour se nourrir, s'accoupler et mettre bas.
Rien que ces moments valaient nos 21h de bus.
Mais comment vous dire notre joie, notre bonheur, lorsque le bateau que nous avons pris s'est approché à quelques mètres d'une jeune encore toute blanche, puis d'une, puis deux, trois... A quelques mètres de nous, tournoyant. Sous nous. A quelques mètres de nous virevoltant pour la danse de l'amour. Et pour finir, à quelques mètres de nous, sautant.




Comment vous décrire cet imposant, majestueux et (il faut le dire) moche animal ? Comment vous dire notre émotion lorsqu'on s'est fait toucher par le jet d'eau qu'elle a soufflé ? Comment vous transmettre cette... cette...

mardi 22 juin 2010

Synopsis

Jusque là notre quotidien a peu changé. Les matins se font à la garderie à hurler, danser, chanter, consoler, crayonner et surtout s'amuser; les après-midi sont partagés entre l'atelier de francais que nous animons, des aides ponctuelles à une super prof de francais, beaucoup de lecture en ce qui me concerne, des amitiés tissés peu à peu avec ceux que nous avions rencontrés à l'Alliance Francaise, avec les maîtresses et la cuisinière, avec le nouveau volontaire italien (enfin de Foggia) Daniele, du temps sur internet, et surtout... des siestes ! Ben, oui, les mômes si tu veux jouer avec eux, faut user la batterie !
Mais cette semaine tout change.
Car vendredi matin, nous prenons le bus et entamons la dernière partie de notre voyage. Nous partons visiter le nord du pays. Alors bien sûr, cette semaine notre emploi du temps est rempli de fêtes d'adieux et de tout ce qu'on voulait faire et qu'on a reporté à plus tard (je vous rassure, il s'agit principalement de tester les meilleurs ñoquis de la ville). Alors il y a la tristesse du départ...
Et l'excitation de ce qui nous attend !


Pour commencer, Antoine et moi tentons notre chance à la Péninsule Valdès (2). Il parait que les baleines sont déjà arrivées. Daigneront- elles nous montrer leur bout du nez ?
Ensuite on file à Iguazu (4) en ne s'accordant qu'une pause à Buenos Aires ((3)), soit 21h + 18h de bus. Là bas, nous verrons les fameuses chutes qui marquent la frontière entre Brésil, Paraguay et Argentine, et surtout nous retrouverons notre Pauline !
La triplette de Grenoble redescendra ensuite par la mission jésuite de San Ignacio (5) avant d'effectuer de nouveau un grand trajet, puisque nous nous dirigerons vers le nord ouest argentin.
De Salta (6) nous remonterons vers Jujuy (7) pour admirer la Quebrada de Humahuaca (8). Nous redescendrons vers Tucuman (10) via les vallées Calchaquies (9). Si nous en avons le temps nous passerons par Mendoza (11) avant de nous diriger vers Cordoba (12). Pis Buenos Aires (13) et retour au bercail prévu pour le 5 août !!


dimanche 20 juin 2010

1930 - 1943 : la Década Infame

A l'aube des années 1930, l'Argentine est donc un pays relativement industrialisé, urbanisé et moderne, très en avance sur ses voisins sud-américains.
Cet âge d'or s'effondre avec la crise des années '30 : le repli protectionniste dans les pays développés, la brusque diminution des importations, la débacle du système international du commerce et des paiements frappent l'Argentine de plein fouet.
Cette crise remet brutalement en cause le modèle de l'économie agroexportatrice qui avait assuré jusqu'alors sa propérité. C'est aussi la fin de l'hégémonie politique de l'oligarchie des grands propriétaires fonciers, car la crise mondiale déplace par la force des choses l'axe de l'accumulation et des investissements vers le marché intérieur, favorisant ainsi l'apparition de nouveaux acteurs sociaux.

La crise secoue la société toute entière. Chômage, cherté de la vie, pauvreté, affrontement avec les compagnies pétrolières déstabilisent le gouvernement du président Yrigoyen (Union Civique Radicale) alors au pouvoir et font apparaître l'ombre d'un coup d'état.
Le 6 septembre 1930, l'armée renverse le gouvernement, ne rencontrant aucune résistance. Cette date clôt une période de l'histoire argentine. L'armée intervient, remplacant dans un certain sens la faiblesse des institutions et de la classe dominante. Elle apparaît pour la première fois comme un veritable parti politique, un acteur incontournable qui ne quittera plus la scène politique avant longtemps.

Le général Uriburu

A la tête des militaires putschistes, le général Uriburu rêve d'un "nouvel ordre patriotique" et d'un "Etat fort pour sauver la patrie". Il sert un secteur de l'oligarchie nourri par les "valeurs hispaniques" de la période coloniale (famille, tradition, religion) et par le nationalisme type Mussolini. La différence avec le fascisme européen est importante. Il convient de souligner quelques traits du nationalisme argentin de l'époque. Il est antiplébéien, antilibéral et anticommuniste. Il est caractérisé par la haine des immigrants, des luttes sociales, des syndicats, de la laïcité et du socialisme. Il méprise aussi les masses populaires et glorifie l'armée. Ainsi, la dictature d'Uriburu s'élève contre l'internationalisme des anarchistes et des communistes (avec l'équation étranger = subversif), mais les investissements étrangers sont les bienvenus ! Les hommes de l'oligarchie reviennent au pouvoir : tous les ministres (à part deux ou trois) sont liés à diverses entreprises capitalistes nord-américaines. En fait, le modèle idéal sont plutôt les Etats-Unis que l'Italie fasciste.

Le coup d'état du 6 septembre

Le gouvernement décrète l'état de siège et réinstaure la loi martiale. Une répression brutale se déchaîne contre le mouvement ouvrier. La violence policière s'installe pour longtemps et sera désormais une caractéristique de l'Argentine.
Très rapidement la situation se dégrade. En 1931-1932 le chômage sévit dans le contexte d'une crise généralisée. Le général Uriburu se voit contrain de céder à la pression du mécontentement populaire et convoque des élections présidentielles.
Cet épisode de l'histoire entraîne une conséquence fondamentale : un courant idéologique nationaliste qui marquera pour toujours l'évolution historique argentine.

Le 20 février 1932, le général Justo accède à la prédidence. Il y mène une politique favorable à la grande bourgeoisie agraire avec une orientation pro-britannique très prononcée : dévolution des transports publiques aux compagnies anglaises, importations détaxées des marchandises de provenance britannique... Cette politique contribue à produire une réaction nationaliste, spécialement dans la génération plus jeune qui allait peser dans les faits de la décennie suivante.
La crise à la campagne renforce l'exode rurale. Les ouvriers agricoles et les artisans de l'intérieur à la recherche de meilleures conditions de vie s'en vont grossir les villes (essentiellement Buenos Aires) et fournir la main-d'oeuvre nécessaire à l'industrialisation. L'immigration interne, l'urbanisation et la formation des grands quartiers ouvriers modifient profondément la structure de la cité traditionnelle. La ville de Buenos Aires change ainsi de physionomie avec l'arrivée de ces nouveaux migrants qu'on appelera plus tard les cabecitas negras (petites têtes noires). La diminution du niveau de vie des secteurs populaires est considérable.
Dans cette atmosphère s'amorce un processus d'unification de la classe ouvrière, de formation des syndicats et des organisations, ainsi qu'une expérience sociale et politique très forte.
Un profond ressentiment populaire contre les groupes dirigeants et un septicisme politique généralisé déplace l'activité politique des masses sur le terrain de la lutte sociale. Il ne manquait qu'une occasion favorable pour que cette nouvelle attitude se manifeste.
Cette occasion est arrivée après la révolution militaire de 1943.

mardi 15 juin 2010

1853 - 1930

L'Argentine se structure en pays moderne et capitaliste. Se consolide l'état national, le pays s'insère dans le marché mondial, et la grande bourgeoisie de Buenos Aires - l'oligarchie - affirme son pouvoir comme classe dominante. Le pays devient alors un important producteur de matières premières et de produits agricoles - viandes puis céréales - en exploitant les terres de la pampa (cf article du même nom).
A cette époque, la dépendance avec les pays européens était encore de type commerciale. Elle change, à partir du dernier quart du XIXè siècle, avec l'apparition de l'impérialisme et du flux des investissements étrangers, des marchandises et des hommes.
C'est au cours de cette période que se consolide la grande propriété foncière. Occupant déjà 30 millions d'hectares de terres fertiles, elle incorpore encore de grands espaces à l'ouest et au sud grâce à la "Conquête du Désert" - en réalité une guerre d'extermination des indiens.
"Civilisation ou Barbarie " et "Peupler, c'est gouverner" sont alors les mots d'ordre.
Rêve de l'oligarchie : chasser les "barbares"qui vivent sur ces riches terres et peupler le territoire avec l'immigration européenne.

Ce n'était pas un désert.
Ils voulaient un désert.

Mais l'immigration massive qui arrive entre 1880 et 1914 n'a déjà plus accès à la propriété agraire. Accaparées par les grands propriétaires terriens, les meilleures terres ne sont plus disponibles. En 1895, par exemple, la famille Anchorena possède 1 180 000 hectares. Les immigrants n'ont pas d'autre choix que de devenir fermiers et ouvriers agricoles dans les grandes propriétés (les fameuses estancias) ou s'établir artisans, ouvriers ou petits commercants dans les villes. La population passe de 1 700 000 habitants en 1869 à 7 000 000 en 1914.
Le rêve de "faire l'Amérique", l'espoir d'un accès rapide au bien-être et à une position sociale gratifiante, s'évanouissent rapidement.
A cette époque, l'Argentine, le Chili et l'Uruguay sont considérés comme des "dominions honoraires" de l'Empire britannique, c'est-à-dire comme une sorte de colonie.
A titre d'exemple :
  • 90% de la viande bovine est destiné au marché britannique.
  • Sur 13 000 km de voie ferrée, 11 000 appartiennent à des compagnies anglaises.
  • Les firmes anglo-américaines disposent de 780 000 m3 sur 800 000 de capacité frigorifique (industrie indispensable à l'export de marchandise).
texte photographié dans le musée du port Ingeniero White de Bahia Blanca (second port industriel du pays).

White fut un produit typique de la génération des '80 : capital anglais, main d'oeuvre immigrante, pampa et océan pour transporter les céréales jusqu'en Europe.
Eau, électricité, chemin de fer : le progrès était un commerce et un contrat, lorsqu'il pris fin, les anglais s'en allèrent.
La ville luxueuse et moderne qu'est déjà Buenos Aires en 1900 - où se développe une élite moderniste qui suit les tendances culturelles et intellectuelles de l'Europe - s'élève au milieu d'une population pauvre qui ne connaît que l'exploitation.
Le tango qui naît dans les quartiers populaires de Buenos Aires exprime parfaitement cette désillusion par la mélancolie de sa musique et de ses paroles. La déception, le sentiment d'abandon et la solitude imprègnent la vie sociale toute entière.

lundi 14 juin 2010

¡ Viva la Partia !, la suite

Afin de développer ce qui a été dit dans le post précédent et son commentaire, nous aimerions creuser le sujet à travers une petite suite d'articles.
Une remarque que nous nous sommes faites peu de temps après notre arrivée en Argentine était qu'il était pratiquement impossible de trouver un produit sans la mention bien visible "industria argentina", qu'il s'agisse de dulce de leche ou de Coca Cola. On nous expliqua qu'il fallait interpréter cela comme la réaction à de longues années d'exploitation anglaises et états-uniennes des terres argentines.


Clamer haut et fort "Nous sommes argentins" ou "Ce produit est issu de l'industrie argentine" est aussi une facon de réagir à l'impérialisme économique européen ou nord américain, de dire "Nous exploitons nos propres richesses, nos propres terres et n'avons besoin de personne pour cela".
Lorsque l'on regarde l'histoire (et l'actualité) de ce pays, on comprend que cela ne va pas de soi...

jeudi 10 juin 2010

¡ Viva la Patria !

Je voudrais vous parler dans cet article du bouleversement le plus inattendu que la vie argentine a occasionné dans ma petite conception du monde.
J'ai, depuis toujours, méprisé avec soin toute manifestation patriotique. Comme dirait l'Autre, "la Marseillaise même en reggae ca m'a toujours fait dégueuler".
Cette nausée est sans doute dûe à la connotation impérialiste du concept de "Patrie" qui, contrairement à ce que voudrait écrire Sarko dans nos manuels scolaires, a un passé trop sanglant à mon goût.
Tous les argentins qui nous a été donné de rencontrer sont au contraire ultra-patriotiques. Le 25 mai dernier le pays célèbrait le bicentenaire de son indépendance. Impressionnant. Les deux semaines précédant l'évènement il était impossible de croiser quiconque sans son escarapela (la cocarde du coin) sur le coeur.
D'énormes festivités étaient organisées dans tous le pays. A Buenos Aires plus de 6 milions de personnes ont pu assister à un concert donné par les plus grands noms de la musique sud-américaine. En ce qui nous concerne nous avons passé la nuit du 24 à Santa Rosa (cf article précédent) où nous avons assisté à un spectacle mémorable.
Toute la ville s'était donnée rendez-vous dans le théâtre pour un parcours tout en musique, danse et déclamation des 200 ans de l'histoire du pays.
Tout a commencé par une vieille indienne chantant des chants traditionels. Ont suivies des danses venues d'Italie, de France, d'Allemagne, de Pologne... représentant les vagues d'immigrations européennes qui peuplèrent le pays au siècle dernier.
Puis des gauchos (sortes de cow-boys typicos à la fierté exacerbée) se sont battus en duel sur la scène, défoncant le parquet à grands coups de poignards.
Le tout ponctué de ¡Viva la Patria! repris en coeur par le public. Et je crois que c'est cela qui m'a le plus donné de frissons : l'onde sonore de chaque hurlement de la foule nous décoiffait !
Le lendemain matin, après une nuit de bus, nous étions de retour à Bahia Blanca pour participer au grand défilé avec les enfants costumés comme au temps de l'indépendance. Trop mignons !






Mais le patriotisme argentin ne se limite pas aux festivités du bicentenaire. C'est réellement une valeur primordiale à leurs yeux. Le premier cadeau que nous avons recu fut un drapeau francais croisé d'un drapeau argentin !
Je pense que cela s'explique par l'histoire post-coloniale de ce pays (tous les indiens ayant été massacrés, il n'y a pas beaucoup d'histoire pré-coloniale).
Ce pays a une histoire extrêmement courte lorsqu'on la compare à celle de notre continent. Pour se faire une idée, c'est comme si l'histoire de France commencait avec les campagnes napoléoniennes, ou l'histoire de la musique avec la Lettre à Elise. C'est très court pour se forger une "identité nationale".
De plus ce pays a été peuplé par des vagues d'immigrations successives provenant d'Europe : "Les Mexicains descendent des Aztèques, les Péruviens des Incas et les Argentins des bateaux !" Lorsque l'on regarde les noms de famille des argentins, on a des Mollinet, Baldini, Hans, Ferrutti, Pietrovski... Très très peu de noms indigènes ! Comment un peuple peut-il s'unifier à ce point en étant si fragmenté au départ ?
C'est sans doute de la sociologie de comptoir mais peut-être est-ce justement parce qu'il s'agissaient de familles immigrées, loin de leurs racines, parachutées dans un pays grand comme un continent où tout reste à faire qu'un tel sentiment (aussi artificiel soit-il) d'unité nationale était nécessaire.

Tout cela pour dire que les argentins m'ont fait découvrir une autre conception du patriotisme, loin des bidasses imbéciles et des borgnes octogénaires, plus près de la solidarité que de l'impérialisme. J'aime.