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jeudi 10 juin 2010

¡ Viva la Patria !

Je voudrais vous parler dans cet article du bouleversement le plus inattendu que la vie argentine a occasionné dans ma petite conception du monde.
J'ai, depuis toujours, méprisé avec soin toute manifestation patriotique. Comme dirait l'Autre, "la Marseillaise même en reggae ca m'a toujours fait dégueuler".
Cette nausée est sans doute dûe à la connotation impérialiste du concept de "Patrie" qui, contrairement à ce que voudrait écrire Sarko dans nos manuels scolaires, a un passé trop sanglant à mon goût.
Tous les argentins qui nous a été donné de rencontrer sont au contraire ultra-patriotiques. Le 25 mai dernier le pays célèbrait le bicentenaire de son indépendance. Impressionnant. Les deux semaines précédant l'évènement il était impossible de croiser quiconque sans son escarapela (la cocarde du coin) sur le coeur.
D'énormes festivités étaient organisées dans tous le pays. A Buenos Aires plus de 6 milions de personnes ont pu assister à un concert donné par les plus grands noms de la musique sud-américaine. En ce qui nous concerne nous avons passé la nuit du 24 à Santa Rosa (cf article précédent) où nous avons assisté à un spectacle mémorable.
Toute la ville s'était donnée rendez-vous dans le théâtre pour un parcours tout en musique, danse et déclamation des 200 ans de l'histoire du pays.
Tout a commencé par une vieille indienne chantant des chants traditionels. Ont suivies des danses venues d'Italie, de France, d'Allemagne, de Pologne... représentant les vagues d'immigrations européennes qui peuplèrent le pays au siècle dernier.
Puis des gauchos (sortes de cow-boys typicos à la fierté exacerbée) se sont battus en duel sur la scène, défoncant le parquet à grands coups de poignards.
Le tout ponctué de ¡Viva la Patria! repris en coeur par le public. Et je crois que c'est cela qui m'a le plus donné de frissons : l'onde sonore de chaque hurlement de la foule nous décoiffait !
Le lendemain matin, après une nuit de bus, nous étions de retour à Bahia Blanca pour participer au grand défilé avec les enfants costumés comme au temps de l'indépendance. Trop mignons !






Mais le patriotisme argentin ne se limite pas aux festivités du bicentenaire. C'est réellement une valeur primordiale à leurs yeux. Le premier cadeau que nous avons recu fut un drapeau francais croisé d'un drapeau argentin !
Je pense que cela s'explique par l'histoire post-coloniale de ce pays (tous les indiens ayant été massacrés, il n'y a pas beaucoup d'histoire pré-coloniale).
Ce pays a une histoire extrêmement courte lorsqu'on la compare à celle de notre continent. Pour se faire une idée, c'est comme si l'histoire de France commencait avec les campagnes napoléoniennes, ou l'histoire de la musique avec la Lettre à Elise. C'est très court pour se forger une "identité nationale".
De plus ce pays a été peuplé par des vagues d'immigrations successives provenant d'Europe : "Les Mexicains descendent des Aztèques, les Péruviens des Incas et les Argentins des bateaux !" Lorsque l'on regarde les noms de famille des argentins, on a des Mollinet, Baldini, Hans, Ferrutti, Pietrovski... Très très peu de noms indigènes ! Comment un peuple peut-il s'unifier à ce point en étant si fragmenté au départ ?
C'est sans doute de la sociologie de comptoir mais peut-être est-ce justement parce qu'il s'agissaient de familles immigrées, loin de leurs racines, parachutées dans un pays grand comme un continent où tout reste à faire qu'un tel sentiment (aussi artificiel soit-il) d'unité nationale était nécessaire.

Tout cela pour dire que les argentins m'ont fait découvrir une autre conception du patriotisme, loin des bidasses imbéciles et des borgnes octogénaires, plus près de la solidarité que de l'impérialisme. J'aime.

11 commentaires:

  1. Eh oui le patriotisme ne saurait être réduit à la vision qu'on en a dans notre vieille Europe aujourd'hui où toutes les vagues d'invasion se sont arrêtées (le bout du monde !) il y a si longtemps, une longue histoire d'assimilation et puis plus tard ce sentiment un peu détestable que le monde lui appartient...Ce que tu décris de l'Argentine en fait ressemble beaucoup à l'histoire américaine tout court, celle du nord comprise !! J'ai toujours compris les USA (comprendre ne veut pas dire approuver) en me reportant justement à leur histoire d'immigration, ces gens qui ne trouvaient plus leur place en Europe, qui ont tout quitté pour conquérir un pays inconnu, souvent hostile, où ils auraient leur chance d'avenir meilleur, c'est sur qu'ils ont dû défendre leur pré carré une fois installés, qu'ils ont dû développer une solidarité qui conditionnait leur survie, sûrement aussi une forme de communautarisme, où la religion qu'ils ont emportée avec eux a servi de tuteur de civilisation, et qu'après tout ça, qui n'est pas si vieux, le nationalisme est devenu quelque chose de quasi-naturel car fondateur. Et finalement forts de ce sentiment ils ont suivi le chemin des européens, c'est leur tour de penser que le monde leur appartient ! Heureusement l'Argentine n'en est pas là, et son nationalisme lui permet surement de résister à ses voisins et de se construire !!
    Pour finir sur le nationalisme, vous n'avez pas vécu cet événement (quoique, n'avez-vous pas été déguisés à la maternelle ?) mais en 1989 lors du bicentenaire de la révolution française, j'étais à Dublin pour le 14 juillet, et tous les irlandais que je croisais qui comprenaient qu'on était français nous demandaient "where is your cocarde ?", honte à nous, nous ne montrions pas notre fierté nationale ! Les irlandais insulaires nous le reprochaient gentiment mais se sentaient concernés aussi, car leur amitié pour la France n'est pas légendaire (encore une histoire de nationalisme puisqu'on avait des ennemis envahisseurs communs !!).
    Au lieu de faire défiler nos militaires c'est sûr qu'on préfèrerait se rappeler de la révolution !!
    Si certains se rappellent l'ambiance en France le 14 juillet 1989, j'en suis curieuse car j'ai raté ça !
    Voilà, c'était notre minute politique ;-) , super vos photos de la pampa !
    Le temps passe vite ici et nous rapproche de votre retour (et on s'en réjouit égoïstement !), embrassez vos petits anges argentins.
    Bisous, marraine-Annick

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  2. A peine, commencer le début de ton article, je m'arrête à la phrase "J'ai, depuis toujours, méprisé avec soin toute manifestation patriotique"
    Moi, ça me choque! Il ne faut pas confondre patriotisme et nationalisme!
    Je ne vois pas en quoi montrer que je suis fière d'être française donne envie de dégueuler!
    C'est clair, la France n'a pas une histoire irréprochable mais a pas mal de qualité! C'est peut être simpliste comme description, dur à exprimer dans un commentaire, on pourra en débattre à votre retour.

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  3. Je suis d'accord avec Elodie.
    Au printemps de Bourges y a la grande Sophie, Olivia Ruiz, Camille, Jeanne Cherhal et Emily Loizeau qui ont chanté une chanson de la grande Sophie que je trouve très intéressante et patriotique, surtout le passage de Camille. Voici le lien: http://www.youtube.com/watch?v=qxaQ1NrNML4
    Si tu veux on en discutera aussi^^
    ++

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  4. (j'ai oublié Rosemary Standley) honte à moi

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  5. Je comprends Nanette, et c'est peut-être un sentiment très familial finalement :-).

    Depuis quelques années, on entend parler du sentiment d'être Européen, citoyen d'Europe. Une sorte de nouveauté, la mode Auberge espagnole et Erasmus aidant. Je me suis personnellement toujours senti citoyen du monde, voire plus... Peut-être un peu bête, car je suis loin de comprendre et saisir le monde justement, tous les peuples et leurs subtilités. Et pourtant ce sentiment n'a jamais fait que grandir à travers tous les voyages que j'ai eus la chance de faire, ou plutôt toutes les rencontres lors de ces voyages. J'aime à raconter comment j’ai vu par mon cœur combien, confronté aux différences de l'étranger, on trouve vite ce qui nous lie vraiment en tant qu'hommes.

    En parallèle, j'ai toujours été très réactif à toutes les exclusions, que je ne comprenais absolument pas. Les divers chauvinisme et autres communautarismes, sans parler des nationalismes, me donnent volontiers de l'urticaire. Ils sont basés sur une fierté qui pour moi trop souvent et trop facilement tend au dénigrement et l’exclusion de l'autre, par la bêtise de l'incompréhension. Finalement, être fier d'être français c'est bien souvent être fier d'une généralité ("nous les Français") attribuée par orgueil. Se donner par le groupe la qualité que l'on n'a jamais eue, et surtout la refuser à ceux hors du groupe.

    Si l'on pense à la solidarité d'un groupe, d'une communauté, c'est toujours quelque chose de beau. Commencez à cadenasser le groupe, mettez deux-trois personnes à l'extérieur sans leur laisser la porte ouverte, et on s'aperçoit vite que c'est moche. La France qui s'organise pour avoir la sécurité sociale, c'est beau. La France qui ne gère pas son immigration, accepte et refuse n'importe comment les migrants, sans respecter leur désir bien humain, et paf la solidarité dorée de l'intérieur devient privilège et moche. Surtout quand on apprend qu’elle se fait sur leur dos, mais c’est un autre débat…

    (...)

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  6. (...)

    Le patriotisme en Argentine, pourquoi pas. D'autant plus facile à expliquer et louable quand la grande majorité des pays plus puissants vous écrasent depuis toujours. C'est ce peuple bien précis qui est écrasé, ce groupe est réel, il existe en tant que tel. C'est plus le hurlement d'un corps qui désire vivre que la pochetronnade au bar du coin pour se hisser plus haut que les voisins. Ce patriotisme, c’est une résistance et une solidarité, avec d’ailleurs une hospitalité toujours remarquée par des visiteurs comme Anne et Antoine.

    Le patriotisme en France : qu'est-ce que c'est qu'être fier d'être français ? C'est être fier d'un passé, d'un présent, les deux ? Si c'est être fier d'un passé, c'est être fier d'un texte pompé chez les ricains (même si nous les avons aidés à le pondre), et de quoi d'autre ? Quelques victoires, quelques fulgurances, un développement, une stabilité dans la capacité à découvrir, améliorer, s’entraider. Oui, nous avons la sécu. Oui, nous sommes riches. Oui, nous avons la retraite. Oui, nous sommes plutôt avancés technologiquement et scientifiquement.

    Mais finalement, ne serait-ce pas être fier de quelque chose que nous héritons ? En tâchant bien sûr d’oublier le passé colonial rude, Napoléon et ses désirs de conquête, le nationalisme vivace en France aussi avant la guerre ainsi que le dédain de l’adversaire vaincu qui en fit le terreau, l’Algérie, l’Indochine et toutes ces guerres à mi-mots. La violence de notre révolution quand les Anglais la faisait en douceur, les errances effroyables qui lui succédèrent… Bref, la liste est longue, d’un côté comme de l’autre, et compter les points ne mène à rien. Notre passé est riche, mais pas sans tâche. Avons-nous à nous en enorgueillir ? Simplement, peut-on s’enorgueillir de quelque chose fait par nos aïeux ? S’enorgueillir de leurs beaux gestes, et tout à la fois clamer la non-responsabilité de leurs actes les plus atroces ? Qui n’a jamais dit et pensé « je ne paierai pas le prix des erreurs de mes pères » ? Et à raison…

    Le patriotisme français, serait-ce la fierté d’un présent, d’un passé proche ? Je ne vais pas m’étendre, mais chacun peut constater la diminution des libertés, les collusions toujours plus nombreuses, le consumérisme et l’endettement galopants, les coupes franches dans les institutions de solidarité, la disparition progressive d’un service public, les conséquences des logiques de ghettoïsation : quel fierté pour ce que nous avons fait de notre pays ces dernières dizaines d’années ? Il y a aussi des progrès, heureusement, mais sur le plan de la civilisation, du bien commun, qui peut dire que chacun a œuvré dans ce sens ? Finalement, pouvons-nous être fiers de nous et de nos choix ? Que nous sommes-nous apporté, qu’avons-nous apporté au monde (à part le « non » de Chichi, merci à lui) ? Car, quoi que nous en disions, et quelle que soit les contraintes, nous en portons ensemble la responsabilité.

    J’en arrive enfin au point que je défends : le patriotisme ne peut pas être une fierté. Une fierté patriotique, c’est un nationalisme. C’est une fierté basé sur le mythe. Le patriotisme, c’est la solidarité, le don de sa personne pour une nation. Quelque chose de haute valeur et grande source de fierté quand son pays est agressé. Savoir se lever, et mieux, se lever ensemble, contre l’oppression et pour le bien commun. Comme en Argentine. Ou se lever pour les idéaux que l’on souhaite à un pays. Comme nous sommes tous appelés à le faire en France (et en Europe ?).

    Finalement, peut-être bien que je vais tâcher de devenir un peu plus patriote :-)...

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  7. Bon, vous l’aurez remarqué, ce texte est incomplet dans son argumentaire et plutôt lyrique : la faute à la fatigue et l’emportement romantique de minuit, je suppose… J'espère que vous m'en excuserez, j’ai préféré vous en faire part malgré tout :-). Merci à vous Nanette et Antoine pour vos textes et photos qui nous en disent tellement plus.

    Gros bisous à tous !

    Vincent

    @Annick : le bicentenaire, j’y étais… jeune. Pour moi, ce sont des souvenirs d’une grande fête d’école, et de lots variés : je crois bien que j’avais eu droit à la tenue complète de sans-culotte pour le spectacle… j’avais même gagné un portefeuille aux couleurs françaises et dessins de bonnets phrygiens !

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  8. je ne peux résister à l'envie de réagir à ce qu'a écrit Vincent quand il dit qu'il ne comprend pas qu'on soit fier d'être français en regardant l'histoire de la France et son fonctionnement: l'immigration, la guerre d'Algerie...
    Plusieurs points:
    - être fière implique une idée de réussite. Dans ce sens je ne comprends pas la fierté nationale car se pose les questions:"où est la réussite?" et "en quoi y ai-je contribué?". On peut parler plutout d'amour. Comprends "je suis fière d'être français" par "j'aime ce pays et j'affirme avec plaisir être français"
    - Il y a deux choses: le pays (les régions, les traditions, la culture) et son gouvernement. Quand un étranger te parle avec amour de son pays d'origine il ne parle généralement pas de son gouvernement. Il parle de la nourriture, des fêtes, des superstitions... c'est d'une partie de lui même dont il parle, pas de la politique.
    - quand je vois avec quel amour Nanou parle de Lyon et de l'Alsace c'est tellement évident: ce plaisir de cherir ses origines et de s'en faire ambassadeur dans sa vie. C'est je crois essentiel d'avoir des gens avec qui partager des points communs, un côté peut être stereotype mais qui met en confiance.

    c'est fou comme ce blogue amène à se passionner dans des débâts!
    ++

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  9. J'exige la photo de Vincent-sans-culotte !!!
    Annick

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  10. Merci Oriane !
    C'est ce que je voulais dire par "incomplet" :-).
    Non non, je ne dis à aucun moment que je ne comprends pas qu'on puisse être fier d'être français ! C'est tout le jeu de mon envolée lyrique d'ailleurs.

    Oui, j'ai passé sous silence la culture, l'amour d'une terre, de sa langue...
    Tu as bien vu, j'ai restreint le patriotisme à la fierté, sans parler d'amour. Finalement, je ne fais que dire qu'on peut être fier de certaines choses, moins de certaines autres, et donc qu'au final être fier n'a que peu de sens, par contre aimer et être fier de ce qu'on aime... J'aime tant de choses dans mon pays ! Tu apportes la conclusion que je n'arrivais pas à formuler, merci !!! A bas les chauvinismes de tout poil, les patriotismes d'exclusion et d'orgueil, et vive les fiertés de goût, de solidarité et de partage !

    Promis Annick, je chercherai une photo de moi avec mon bonnet phrygien. Gros bisous,

    Vincent


    P.S. : sur ton dernier point Oriane, j'ai observé que les seuls points communs nécessaires ne sont que ceux qui permettent l'échange : être capables d'expérience (une bouche, des yeux, une mémoire...), pouvoir communiquer (qu'importe la méthode) et enfin... être curieux, désirer l'échange !

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  11. Merci à vous pour ce beau débat ! Personnellement, je crois que jusque là j'ai toujours confondu patriotisme, nationalisme et impérialisme. Ce voyage m'aura ouvert les yeux.
    A present je peux dire :
    Oui, je suis patriotique. Simplement par reconnaissance envers cette culture dans lequel j'ai posé mes racines et qui m'a permis de grandir. Mais je veux être du patriotisme qui partage, et non pas au détriment de ceux qui sont de l'autre côté de la frontière.
    J'emm... le nationalisme qui ne compte plus ses morts. Aujourd'hui, notre chance est qu'il s'exprime principalement pendant une coupe de monde de football.
    J'exècre l'impérialisme qui est la pire chose qui soit ici bas. Car si le nationalisme se défend (disons que le peuple a trop souffert et qu'il s'est renfermé sur lui-même), l'impéralisme non. Jamais je n'oserai dire que la colonisation eut du bon, face à ce qu'elle a engendré. Jamais je n'oserai dire que les décisions du G8 sur la planète ne sont pas une honte et une folie démesurée. Jamais je n'oserai dire que le FMI a aidé un peuple plus qu'il ne l'a asservi. (Bon, bien sûr, je dis jamais, mais peutetre qu'un jour, monsieur y mettra du sien).

    Enfin, je voudrais vous faire part de qqc d'autre que j'ai découvert ici, loin de mes racines.
    Si j'ai grandi dans un milieu qui m a faconne, et que je peux aimer mes racines, j'ai compris aujourd hui que mon univers n'a pas de frontieres. Où que je sois, mon univers se balade avec moi. Et sans doute est il plus proche d'univers de certains argentins que d'autres qui ont pourtant grandi pres de moi !
    Les points hyper positifs de cette decouverte
    sont que l'inconnu ne me fera plus jamais peur et que, si j'ouvre suffisamment mes oreilles, j'entendrais tout ses univers voisins, proches ou lointains!

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